Nib'Art par Gilles Clamens
Philosophe
Qu'appelle-t-on "oeuvre d'art"? La question se pose d'autant que l'art contemporain explore couramment mille et une voles qui nous semblent nouvelles, au point d'exciter non seulement l'étonnement mais aussi l'incompréhension, jusqu'au scandale même. L'installation multimédias proposée par Marine Bureau-Kohn en rappelle ainsi beaucoup d'autres son objet ou son sujet, "mon cancer du sein", fait craindre toutes les audaces de l'impudeur, au moins autant que la plaisanterie de son titre ("Nib'Art") attire la sympathie. Mais voila: si l'on ne peut que souhaiter la réception ou la rencontre la plus nombreuse et la plus diverse avec cette exposition, c'est qu'elle ne s'expose qu'en un sens singulier et pourtant universel, celui, miraculeux toujours, énigmatique encore, de l'oeuvre d'art. On ne sait si c'est triomphe ou tristesse qu'exprime le fameux mot de Braque "les preuves fatiguent la vérité" MBK en offre en tout cas une lecture inouïe. On sentira ici l'épreuve, toute armée de ses preuves: technologies médicales des plus banales aux plus pointues, corps brutalement révèle tout puissant et pourtant gouverné par la soumission amoureuse à ses "soins", lourdement utiles - chimio, rayons - ou légèrement inutiles - sein et crane chauve offerts à la prise esthétique. Or, loin de la fatiguer, l'preuve (subjective) et ses preuves (objectives) exaltent ici une vérité qu'on est Bien tenté d'appeler tant est profonde la trace laissée au visiteur par ce travail étonnamment commun, pluriel, intersubjectif (tous les amis sont là, a l'œuvre eux aussi) autant qu'inter objectif (la table d'hôpital pas moins digne que la radiographie du sauvetage). Au total (quelle oeuvre véritable ne serait pas totale ?), on craignait la déchirure, et c'est l'ouverture que retient, ravi, le visiteur: et moi aussi, et nous aussi, nous sommes là, dans cette chose innommable tranquillement élevée au rang fraternel d'affaire qui nous concerne au lieu de nous cerner. N'est-ce pas cela, au moins, une oeuvre d'art ?