INTERVIEW |
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Marine Bureau-Kohn :Rien n’est né ! Instinctivement en sortant de ma mammographie, j’ai eu besoin de parler de cette douche froide qui me tombait dessus : « le crabe était là ».
M. B.-K. : Ce n’était pas la première fois que mon corps me faisait faux bon, mais là c’était du sérieux. J’ai eu peur qu’il m’abandonne, trop d’exemples autour de moi. C’est l’instinct de survie qui a pris le dessus sur cette maladie qui n’avait pas de raison d’être et… le crabe est bien reparti à la plage ! Toute émotion est source de création. J’ai vécu ma maladie comme ma vie, tout au feeling, au jour le jour.
M. B.-K. : J’existais déjà en tant que plasticienne avant d’avoir le crabe. Que j’aille bien ou pas j’ai toujours créé et raconté mes sentiments à travers la matière. Je n’ai pas surmonté la douleur, j’ai eu malheureusement le droit de souffrir comme les autres, surtout avec le staphylocoque doré et le rythme infernal du protocole. J’ai juste essayé de mieux vivre la maladie au quotidien et de la rendre moins dramatique. A la fin d’une séance chimio j’ai demandé qu’on me donne un champ opératoire. J’ai emmené mon magnéto pour enregistrer le cri des rayons, j’étais chauve et je demandais des chutes de longs cheveux chez les coiffeurs. J’ai chiné des vieux objets à l’hôpital…... J’avais toujours un crayon pour écrire et dessiner des trucs. Sans réfléchir, tout se faisait tout seul, j’ai essayé d’apprivoiser la maladie, de l’exploiter pour la partager, la relativiser, d’une certaine façon la rendre plus acceptable et surtout plus humaine au regard des autres. Dans la vie, chacun devient un jour l’Autre des autres.
M. B.-K. : J’ai eu beaucoup de chance, Bob a été très présent dès le premier jour. Il m’a suivie dans mes délires et a joué le jeu sans hésiter, sans savoir où j’allais. Comme j’avais tendance à partir dans tous les sens, il m’a aidée à canaliser mes idées, à les mettre en forme pour que plastiquement l’ensemble soit cohérent. C’est difficile de parler de rôle, il m’a prouvé qu’il m’aimait c’est tout. Ca a été une totale complicité, une vrai thérapie de couple. Ca nous a fait autant de bien à l’un qu’à l’autre. Je ne savais pas que l’on faisait de l’arthérapie !
M. B.-K. : Quand on crée je pense que l’on a moins besoin de procréer. Y’a 10 ans j’ai épousé Bob avec son fils qui est devenu le mien. Je viens d’une famille déjà très nombreuse.
M. B.-K. : Au changement de siècle, on avait fait une fête chez nous et mon ami Sarah étant en chimio était chauve. Pour pas « casser l’ambiance », je lui avais peint sur le crâne un truc rigolo. Elle avait un beau costume, elle était superbe ! Je ne savais pas que quatre ans plus tard ce serait à mon tour d’être à sa place. Dix jours après la première chimio, mes cheveux sont tombés. J’ai beaucoup pleuré car mon corps m’abandonnait, il fallait que l’on m’aide à passer cette étape. J’ai provoqué un petit rituel avec des amis autour de la coupe des cheveux. Bob à la photo, David à la caméra et Karine au maquillage et au rasage. On a ouvert le champagne, c’était un grand moment, chacun vivait intérieurement cette expérience pas banale, une sorte de renaissance. Beaucoup d’émotions. J’ai pour la première fois découvert mon crâne, je l’ai trouvé beau et de suite je l’ai adopté. J’ai proposé à des amis et artistes de venir s’exprimer sur « une toile ronde et vivante ». 1 seule a refusé… d’autres y ont passé trois heures. En huit mois, j’ai eu vingt toiles éphémères sur le crâne. Cette nouvelle sensation de caresse sur cette partie du corps que je découvrais était étrange et agréable. C’était aussi, avec chacun un moment partagé et privilégié, ils m’acceptaient et mon crane ne les dégoûtait pas. J’ai juste essayé de réagir pour moins subir.
M. B.-K. : j'ai fait 6 années aux Beaux arts ou j'ai eu un DNSEP en 1982 spécialisation audio visuel, techniques sons et images complètement dépassées à ce jour… l'école des beaux arts à l'époque était aussi l'école de la Vie !
M. B.-K. : j'appartiens à rien du tout, ni à personne, la liberté se paye chère, ,j’ai jamais suivit un mouvement quelconque, d’ailleurs il ne se passe pas grand chose d'intéressant en Art en ce moment, enfin pas à mon avis! je trouve dans l’ensemble assez superficiel , mou ce qui se fait et sans grande émotion!
M. B.-K. : Bien sûr car c’est de l’art plastique avant tout : sculptures, film, peintures, photos, son, installations. Malheureusement le cancer reste un sujet tabou qui fait peur et qui concerne tout le monde. Pour beaucoup, cancer = mort. Nib’Art est un travail artistique subjectif sur le vécu de mon cancer du sein. Je souhaite effectivement le sortir de l’univers médical : les photos de guerre ne sont pas exposées dans les casernes et l’art religieux ne se trouve pas que dans les églises. N'ayant rien à vendre ,Nib’Art est une expo que je loue à la demande, Ligue, Labo, centre culturel, conseil général.... Sinon je suis à la recherche d'un labo ou autre mécène qui produiraient le catalogue Nib'Art . Ce catalogue serait destiné aux salles d'attentes des médecins, gynécologues, oncologues, ...que les patients puissent librement le consulter. Tout le monde n'a pas Internet pour visiter le site.
M. B.-K. : Surtout pas, Nib’art est un travail qui a commencé dans la 1\2 heure qui a suivit l’annonce de ce crabe et qui s’est terminé 9 mois après, au retour de la dernière séance de rayon . La pression n’étant plus là, je suis passé très vite à autre chose. Tout est rangé dans des caisses et ne sort que pour les expos.
M. B.-K. : Voici quelques témoignages de mon livre d’or : « Une exposition pleine de sens pour une maladie qui n’en a pas ». Dominique. « C’est un appel à la vie, un hymne à l’espoir face à cette maladie qui ronge notre société, que la vie et l’amour gagnent ! » Emilie. « On ne peut que souhaiter que l’arthérapie soit prise en charge par la sécu ». Hubert. « Quels beaux seins ! Merci pour tout cet humour et ce nouveau regard sur la maladie ». Corine. « Finalement on apprivoise la mort comme on apprivoise l’amour ». Stéphanie. « Un super instant de couleurs dans une maladie bien noire….woooaw ! » Lily. « Grande leçon de vie, merci pour ceux qui ont souffert ». H. « Comme quoi l’on est un médicament, qui n’est pas placebo ». Michael. « Emouvante pérégrination entre larmes, l’art, l’arme ». Christian. « Votre exposition me donne du courage, vous exprimez les sentiments de nous toutes ». M. « Réflexion ! Méditation ! Jeux de mots…de chapeaux ! Inspiration… expiration… » Fanchick. « C’est presque la métaphore de tout le travail artistique. J’aime ». Ronan. « Heureux les fêlés ils laissent passer la lumière ». Quentin. « Il est rentré par là et sorti par l’art ». L.
M. B.-K. : Je vais voir mon oncologue avec toujours une petite trouille, mais elle est si sympathique qu’elle ne me trouvera plus jamais rien ! Je prends de l’arimidex (bloquant hormonal) durant 5 ans. A cause de la ménopause je me suis arrondi à la taille, Mais je vais pas me plaindre , je suis là! Je vais régulièrement faire des drainages chez le kiné. Comme j'ai mon bras gauche dont je ne peux plus me servir comme avant je m'adapte, j'ai freiné les gros travaux.
M. B.-K. : Aujourd’hui j’ai fait traduire les légendes de Nib’Art car j’aimerais montrer ce travail à l’étranger, donc je démarche mais ce n’est pas facile de faire sortir de l’ombre cette maladie. Sinon, je tourne des petites fictions en vidéo, je fais du montage, Je récupère et détourne des objets. Je termine la décoration dans la grange que j’ai aménagée en Dordogne, bref… j’ai toujours des idées sur le feu et pas le temps de m’ennuyer avec Bob. Vive la vie ! elle est si brève ![]() |
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